Aller au contenu principal

D’une vibration à une émotion: comment la musique amène le plaisir?

  • Diyaa Rahmani, Étudiante à la maîtrise en psychologie à l’Université de Montréal
  • Isabelle Peretz, Professeure titulaire au département de psychologie de l’Université de Montréal

Lorsque nous écoutons de la musique, c’est comme si une vague d’émotions nous submergeait. Imaginez : les notes se faufilent dans nos oreilles et se propagent à travers tout notre corps, suscitant des frissons, accélérant notre rythme cardiaque ou même faisant couler des larmes inattendues. Ces réactions témoignent de la puissance du plaisir engendré par la musique. Mais comment se fait-il que la musique ait ce pouvoir sur nous? Quelles sont les régions du cerveau qui activent ce plaisir lorsqu’on écoute de la musique ?

Un art millénaire qui touche l’âme

La musique est un art ancestral présent depuis des millénaires dans toutes les cultures. Par exemple, l’instrument de musique le plus ancien qui a été retrouvé est une flûte faite d’os de vautour qui date de plus de 42 000 ans ! Cet héritage culturel continue de nous émerveiller et est présent dans toutes les civilisations du monde. Mais comment cet art si ancien a pu perdurer dans le temps ? Une des raisons est que la musique procure du plaisir. Plusieurs régions du cerveau s’activent lorsqu’on écoute de la musique et permettent de faire ressentir ce plaisir. Mais avant tout, il est important de connaître comment la musique se rend jusqu’au cerveau.

Comment la musique se rend au cerveau ?

Tout commence par vibrations sonores de différentes fréquences et d’amplitudes (voir Figure 1) qui voyagent jusqu’à nos oreilles. Ces vibrations vont faire bouger le tympan et les trois osselets de l’oreille moyenne : l’enclume, le marteau et l’étrier. Ces osselets vont alors faire bouger le liquide présent dans la cochlée, laquelle transforment les vibrations en signaux électriques puis envoie au cortex auditif un signal électrique via le nerf auditif (voir Figure 2) (Goldstein & Brockmole, 2016).

Figure 1 : Schéma d’une onde. L’amplitude est la hauteur de l’onde, donc le volume du son. La fréquence présentée par le symbole lambda (λ) est la longueur de l’onde. De petites longueurs d’onde donnent des sons aigus, alors que de longues longueurs d’onde donnent des sons graves (Goldstein & Brockmole, 2016)

Figure 2 : Anatomie interne de l’oreille (Goldstein & Brockmole, 2016)

Une fois que le signal est arrivé au cortex auditif, il se répand ensuite dans différentes régions du cerveau afin de l’analyser. Pour détecter le type de son dont il s’agit, le signal électrique du cortex auditif est transmis au lobe temporal. Si le son est de la musique, le signal électrique se rend alors au lobe temporal de l’hémisphère droit. En revanche, si le son est de la parole, le signal électrique se rend plutôt au lobe temporal de l’hémisphère gauche. Pour identifier d’où provient le son (par exemple : écouteurs, haut-parleur), quand il débute et comment il est (aigu ou grave), le signal électrique est transmis au lobe pariétal (Goldstein & Brockmole, 2016).

Figure 3 : Image du cerveau illustrant les différents lobes impliqués dans le traitement du son (Goldstein & Brockmole, 2016)

Décoder le plaisir musical?

Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi la musique peut procurer autant de plaisir? La clé réside dans une partie de notre cerveau appelée le circuit de la récompense. Ce circuit comprend le noyau accumbens (voir figure 4), le cortex auditif et le cortex orbito-frontal. Lorsque le noyau accumbens s’active, il libère de la dopamine, un neurotransmetteur associé à la sensation du plaisir. Les neurotransmetteurs sont de petites molécules qui transmettent de l’information électrique entre les neurones (voir Figure 5). Une fois la dopamine est libérée, elle entraîne une sensation de plaisir chez la personne (Zatorre & Salimpoor, 2013).

Figure 4 : Schéma du système limbique, la partie la plus ancienne du cerveau. Elle comprend plusieurs parties dont le noyau accumbens.

Figure 5: Image illustrant deux neurones (en bleu) et des neurotransmetteurs (en mauve) Home | Neurology (uconn.edu)

Cette découverte a été réalisée par le professeur Robert Zatorre et son équipe de l’Université McGill. Ils ont utilisé la tomographie par émission de positrons (TEP) pendant que des personnes écoutaient de la musique qui leur donnait des frissons. Le TEP scan consiste à injecter une substance légèrement radioactive dans le corps d’une personne et à mesurer son rayonnement à l’aide d’un scanneur. Cette substance radioactive se lie à une molécule réceptrice et cette liaison sera détectée par un scanneur. Dans leur étude, ils ont utilisé une substance qui se lie aux récepteurs de dopamine. Ils ont constaté que lorsque les gens écoutent de la musique qui lui donne des frissons, beaucoup plus de dopamine est libérée dans le striatum que lorsqu’ils écoutent d’autres types de musique (Salimpoor et al., 2011).

Vous pourriez penser que le circuit de la récompense ne s’active que lorsque vous écoutez de la musique familière et que l’on aime. Or, ce phénomène peut aussi se produire lorsque vous écoutez une pièce de musique pour la première fois. Le professeur Zatorre et son équipe ont voulu examiner l’activité cérébrale associée à l’écoute de musique pour la première fois, et observer l’activité cérébrale qui distingue les musiques qui deviennent « gratifiantes » pour un individu de celles qu’il ne souhaite pas réécouter. Ils ont donc mesuré l’activité cérébrale à l’aide de l’imagerie par résonnance magnétique (IRM) pendant que des personnes écoutaient de la musique qu’elles n’avaient jamais entendue auparavant. Ils ont évalué la valeur de récompense de chaque morceau de musique en permettant aux participants de « l’acheter » (les participants devaient faire une offre variant de 0 à 2 dollars), les offres plus élevées servant d’indicateurs d’une valeur de récompense plus élevée. Ils ont constaté que le noyau accumbens s’activait lorsque les participants écoutaient à de la musique qu’ils appréciaient. Ils ont aussi découvert que plus les participants faisaient une offre importante, plus le noyau accumbens était actif. Il est important de noter que l’expérience du plaisir musical reste une expérience subjective et unique à chaque individu. Nos musiques préférées peuvent ne pas procure de plaisir à d’autres (Salimpoor et al., 2013).

Le plaisir musical : une expérience unique pour chacun

Est-ce que tout le monde ressent du plaisir en écoutant de la musique? Eh bien, pas forcément. Il existe des personnes que les chercheurs appellent les anhédonistes musicaux, c’est-à-dire qu’ils peuvent reconnaître si une chanson est joyeuse ou triste, mais elles ne ressentent aucun plaisir en l’écoutant. Le chercheur Martinez et ses collègues (2016) ont trouvé que chez ces personnes, le noyau accumbens est moins actif lorsqu’elles écoutent de la musique. Elles ont également une moindre connectivité avec d’autres régions du cerveau, notamment le gyrus temporal supérieur, une région du cerveau impliquée dans le traitement musical (Martínez-Molina et al., 2016).

Et qu’en est-il des animaux? Peuvent-ils aussi ressentir du plaisir en écoutant de la musique? Il semblerait que, par exemple, le chant des oiseaux ne soit pas vraiment une source de plaisir pour eux, mais plutôt un moyen de communication telle que la défense de leur territoire ou à l’accouplement (Brown et al., 1999 ; Catchpole & Slater, 1996). Cela ne veut pas dire que les animaux ne ressentent pas de plaisir, mais plutôt qu’ils ressentent du plaisir dans des comportements de base comme manger ou se reproduire. Contrairement aux animaux, les humains avec un système limbique plus complexe, peuvent ressentir du plaisir à travers des activités non essentielles à la survie comme écouter de la musique et apprécier l’art et la poésie (Salimpoor & Zatorre, 2013).

En définitive, le plaisir musical est un cadeau précieux que nous, humains, avons le privilège de savourer. C’est une source de joie infinie et un moyen de se connecter les uns aux autres. Alors, la prochaine fois que vous serez emporté par la mélodie d’une chanson ou le son d’un instrument, souvenez-vous du chemin parcouru par ces sons pour offrir une expérience sensorielle si unique.

À savoir également : le pouvoir surprenant de la musique

Saviez-vous que la musique ne procure pas seulement du plaisir, mais peut aussi réduire la sensation de douleur ! Certains dentistes ont même utilisé la musique comme seul analgésique pour réduire la douleur pendant leurs opérations. Pour en savoir plus sur ce phénomène fascinant, cliquez sur le lien suivant : Suppression of Pain by Sound | Science

Nos conseils pour une écoute optimale

Pour tirer le maximum de plaisir de chaque chanson, il y a quelques astuces à connaître. Une bonne chanson ne doit pas être ni trop simple ni trop répétitive. En effet, si la musique est simple ou répétitive, le cerveau, capable d’anticiper ce qui va se produire, peut s’ennuyer et se lasser rapidement. Pour une expérience musicale enrichissante, optez pour des morceaux qui offrent un équilibre entre la familiarité et la nouveauté (Salimpoor et al., 2015).

Crédits

Tous les thèmes abordés dans cet article sont abordés dans le livre « Apprendre la musique, les nouvelles des Neurosciences » par Isabelle Peretz, professeure titulaire à l’Université de Montréal.

Références

Blood, A. J., & Zatorre, R. J. (2001). Intensely pleasurable responses to music correlate with activity in brain regions implicated in reward and emotion. Proceedings of the National Academy of Sciences, 98(20), 11818‑11823. https://doi.org/10.1073/pnas.191355898

Blood, A. J., Zatorre, R. J., Bermudez, P., & Evans, A. C. (1999). Emotional responses to pleasant and unpleasant music correlate with activity in paralimbic brain regions. Nature Neuroscience, 2(4), 382‑387. https://doi.org/10.1038/7299

Brown, S., Merker, B., & Wallin, C. (Éds.). (1999). The Origins of Music. The MIT Press. https://doi.org/10.7551/mitpress/5190.001.0001

Catchpole, C. K., & Slater, J. B. (1996). Bird Song, Biological Themes and Variations. The Condor, 98(3), 670‑670. https://doi.org/10.2307/1369590

Chanda, M. L., & Levitin, D. J. (2013). The neurochemistry of music. Trends in Cognitive Sciences, 17(4), 179‑193. https://doi.org/10.1016/j.tics.2013.02.007

Gardner, W. J., Licklider, J. C. R., & Weisz, A. Z. (1960). Suppression of Pain by Sound. Science, 132(3418), 32‑33. https://doi.org/10.1126/science.132.3418.32

Goldstein, E. B., & Brockmole, J. R. (2016). Sensation and Perception (10th ed). Cengage.

Martínez-Molina, N., Mas-Herrero, E., Rodríguez-Fornells, A., Zatorre, R. J., & Marco-Pallarés, J. (2016). Neural correlates of specific musical anhedonia. https://doi.org/10.1073/pnas.1611211113

Menon, V., & Levitin, D. J. (2005). The rewards of music listening : Response and physiological connectivity of the mesolimbic system. NeuroImage, 28(1), 175‑184. https://doi.org/10.1016/j.neuroimage.2005.05.053

Salimpoor, V. N., Benovoy, M., Larcher, K., Dagher, A., & Zatorre, R. J. (2011). Anatomically distinct dopamine release during anticipation and experience of peak emotion to music. Nature Neuroscience, 14(2), 257‑262. https://doi.org/10.1038/nn.2726

Salimpoor, V. N., Benovoy, M., Longo, G., Cooperstock, J. R., & Zatorre, R. J. (2009). The Rewarding Aspects of Music Listening Are Related to Degree of Emotional Arousal. PLoS ONE, 4(10), e7487. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0007487

Salimpoor, V. N., Van Den Bosch, I., Kovacevic, N., McIntosh, A. R., Dagher, A., & Zatorre, R. J. (2013). Interactions Between the Nucleus Accumbens and Auditory Cortices Predict Music Reward Value. Science, 340(6129), 216‑219. https://doi.org/10.1126/science.1231059

Salimpoor, V. N., Zald, D. H., Zatorre, R. J., Dagher, A., & McIntosh, A. R. (2015). Predictions and the brain : How musical sounds become rewarding. Trends in Cognitive Sciences, 19(2), 86‑91. https://doi.org/10.1016/j.tics.2014.12.001

Salimpoor, V. N., & Zatorre, R. J. (2013). Neural interactions that give rise to musical pleasure. Psychology of Aesthetics, Creativity, and the Arts, 7(1), 62‑75. https://doi.org/10.1037/a0031819

Van Den Bosch, I., Salimpoor, V. N., & Zatorre, R. J. (2013). Familiarity mediates the relationship between emotional arousal and pleasure during music listening. Frontiers in Human Neuroscience, 7. https://doi.org/10.3389/fnhum.2013.00534

Zatorre, R. J., & Salimpoor, V. N. (2013). From perception to pleasure : Music and its neural substrates. Proceedings of the National Academy of Sciences, 110(Supplement_2), 10430‑10437. https://doi.org/10.1073/pnas.1301228110