Le spectre de l’autisme et la musique: vibrer en concert
- Alexa Servant, Étudiante à la maîtrise, Department of Educational and Counselling Psychology. McGill University
- Eve-Marie Quintin, Professeure assistante, Department of Educational and Counselling Psychology. McGill University

Les personnes sur le spectre de l’autisme peuvent présenter des différences sociales ainsi que des comportements répétitifs ou des intérêts spécifiques (American Psychiatric Association, 2013). Cette condition touche environ 1 à 2% des enfants de 7 à 17 ans (Christensen et al., 2018; Statistique Canada, 2019). Face à cela, des chercheurs se mobilisent pour créer des programmes d’intervention adaptés à cette population. Notamment, ils se concentrent sur des approches qui valorisent les atouts des personnes autistes, comme la musique (Heaton, 2009; Quintin, 2019).
En quoi musiquer est-il important ou différent pour les personnes autistes ?
Il apparait que ces individus ont généralement une meilleure mémoire musicale et une plus grande aptitude à distinguer les fréquences musicales que les personnes neurotypiques (voir Heaton, 2009, et Quintin, 2019, pour des revues de la littérature sur le sujet). Par exemple, une étude menée par Quintin et ses collègues (2011) a exploré la capacité des adolescents sur le spectre de l’autisme à reconnaître différentes émotions évoquées par la musique et à en évaluer l’intensité émotionnelle. Dans cette étude, les participants devaient identifier l’émotion décrivant le mieux un extrait musical parmi la joie, la paix(quiétude), la tristesse ou la peur, puis juger de l’intensité de cette émotion. Les résultats ont montré que le groupe d’adolescents sur le spectre de l’autisme identifiait les émotions aussi précisément que le groupe de leurs pairs neurotypiques. De plus, les deux groupes évaluaient de manière similaire l’intensité des émotions des extraits musicaux, et ils étaient tout aussi confiants dans leurs choix. Cette étude suggère que la musique peut être un outil puissant pour communiquer les émotions pour les personnes sur le spectre de l’autisme.
Dans une étude plus récente, Sivathasan et ses collègues. (2023) ont comparé la capacité de reconnaissance des émotions chez des enfants autistes et neurotypes à travers la musique et l’expression faciales. Les enfants ont participé à une tâche informatisée où ils devaient brièvement regarder une photo d’un visage ou écouter une voix ou un court extrait de musique exprimant une émotion joyeuse, triste ou effrayante. Ils étaient ensuite invités à reconnaître l’émotion ressentie et à juger à quel point cette émotion était forte et si elle était plutôt agréable (positive) ou désagréable (négative). De manière générale, les enfants sur le spectre de l’autisme étaient aussi précis que les enfants neurotypiques pour identifier les émotions à partir des visages et des voix. Cependant, ils se sont montrés plus précis que les enfants neurotypiques pour identifier les émotions véhiculées par la musique.
Alors, comment la musique peut-elle être utilisée au profit des personnes sur le spectre de l’autisme?

Des programmes d’intervention ciblant les émotions et/ou les habiletés sociales sont en cours de développement pour améliorer ces aptitudes chez les personnes autistes. Ces programmes, souvent appelés « programmes basés sur les forces », cherchent à tirer parti des forces (comme la musique) des personnes sur le spectre plutôt que de se concentrer uniquement sur leurs difficultés (Quintin, 2019). Par exemple, Sharda et ses collègues (2018) ont examiné les effets de la musicothérapie, tant sur le comportement que sur le plan biologique. Ils ont mis en place un programme de thérapie musicale individuelle, d’une durée de 8 à 12 semaines, spécifiquement pour des enfants sur le spectre de l’autisme. Ce programme a reçu des retours positifs de la part des parents qui ont constaté une amélioration de la qualité de vie familiale et des compétences de communication chez leurs enfants, en comparaison avec un groupe d’enfants autistes ayant participé au programme artistique non centré sur la musique. De plus, les enfants sur le spectre de l’autisme ont montré une diminution de l’activité cérébrale dans les réseaux sensoriels, tout en montrant une augmentation de l’activité dans les zones du cerveau associées aux compétences sociales. Ce programme, avec la musique comme composante centrale, semble avoir « réorganisé » les réseaux cérébraux des participants, les rendant davantage similaires à ceux des enfants neurotypiques.
En outre, des programmes de musique en groupe offrent une occasion précieuse d’inclusion sociale, où les personnes sur le spectre de l’autisme peuvent interagir avec des personnes neurotypiques. Cook et ses collègues (2018) ont étudié l’effet d’un programme scolaire basé sur la musique intégrant à la fois des élèves sur le spectre de l’autisme et neurotypiques. Lorsqu’on compare les élèves neurotypiques ayant suivi un programme de musique non inclusif à ceux qui ont participé à un programme inclusif accueillant également des élèves sur le spectre de l’autisme, on observe des résultats notables. Les élèves impliqués dans le programme inclusif ont démontré une augmentation notable de leurs comportements prosociaux et une diminution plus marquée des comportements de victimisation. Parallèlement, les élèves autistes ont également connu une diminution des situations de victimisation après avoir interagi avec des pairs neurotypiques dans le cadre du programme musical. Cette observation amène les chercheurs à suggérer que la pratique de la musique en groupe pourrait jouer un rôle de catalyseur pour renforcer la cohésion et encourager les comportements prosociaux, en particulier chez les personnes sur le spectre de l’autisme (Cook et al., 2018).
En somme, musiquer se révèle un outil puissant pour les personnes sur le spectre de l’autisme. Cette activité favorise non seulement la reconnaissance des émotions, mais contribue également à améliorer les aptitudes de communication sociale, à renforcer les fonctions neurologiques associées, et à encourager l’inclusion sociale. Étant donné que l’éducation musicale fait partie intégrante du curriculum scolaire québécois, l’intégration des pratiques musicales visant à encourager les comportements sociaux pourrait profiter non seulement aux élèves sur le spectre de l’autisme, mais aussi à d’autres élèves ayant des besoins spéciaux ou des difficultés d’adaptation ou d’apprentissage (EHDAA). Il est donc crucial de préserver, voire d’enrichir l’accès aux programmes musicaux dans les écoles québécoises.
Dans cette optique, nous encourageons vivement l’offre de programmes de musique de groupe dans les écoles. Étant donné que le programme scolaire actuel inclut déjà des cours de musique, l’ajout de composantes sociales à ces cours pourrait être très bénéfique. En plus d’être peu coûteuse et accessible à tous, cette approche met en valeur les forces des enfants sur le spectre de l’autisme, ce qui est en accord avec notre vision de soutien pour les personnes neurodivergentes. Nous espérons que les lecteurs reconnaîtront et soutiendront l’importance de musiquer au sein du milieu scolaire éducation et l’intégration de personnes sur le spectre de l’autisme.
Réferences
American Psychiatric Association. (2013). Diagnostic and statistical manual of mental disorders (5th ed.). Washington, DC: Publisher. https://doi.org/10.1176/appi.books.9780890425596
Cook, A., Ogden, J., & Winstone, N. (2019). The impact of a school-based musical contact intervention on prosocial attitudes, emotions and behaviours: A pilot trial with autistic and neurotypical children. Autism, 23(4), 933-942. https://doi.org/10.1177/1362361318787793
Christensen, D. L., Braun, K. V. N., Baio, J., Bilder, D., Charles, J., Constantino, J. N., … & Yeargin-Allsopp, M. (2018). Prevalence and characteristics of autism spectrum disorder among children aged 8 years—autism and developmental disabilities monitoring network, 11 sites, United States, 2012. MMWR Surveillance Summaries, 65(13), 1-23. https://doi.org/10.15585/mmwr.ss6513a1
Heaton P. (2009). Assessing musical skills in autistic children who are not savants. Philosophical transactions of the Royal Society of London. Series B, Biological sciences, 364(1522), 1443–1447. https://doi.org/10.1098/rstb.2008.0327
Quintin, E. M., Bhatara, A., Poissant, H., Fombonne, E., & Levitin, D. J. (2011). Emotion perception in music in high-functioning adolescents with Autism Spectrum Disorders. Journal of Autism and Developmental Disorders, 41(9), 1240–1255. https://doi.org/10.1007/s10803-010-1146-0
Quintin, E. M. (2019) Music-Evoked Reward and Emotion: Relative Strengths and Response to Intervention of People With ASD. Front. Neural Circuits 13:49. doi: 10.3389/fncir.2019.00049
Rai, D., Lewis, G., Lundberg, M., et al. (2012). Parental socioeconomic status and risk of offspring autism spectrum disorders in a Swedish population-based study. J Am Acad Child Adolesc Psychiatry, 51(5),467-476.
Sharda, M., Tuerk, C., Chowdhury, R. et al. (2018). Music improves social communication and auditory–motor connectivity in children with autism. Transl Psychiatry 8, 231. https://doi.org/10.1038/s41398-018-0287-3
Sivathasan, S., Dahary, H., Burack, J. A., & Quintin, E. M. (2023). Basic emotion recognition of children on the autism spectrum is enhanced in music and typical for faces and voices. PloS one, 18(1), e0279002. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0279002
Statistiques Canada. Enquête canadienne sur la santé des enfants et des jeunes – 2019 : Questionnaire. 2019; accessible à l’adresse : https://www23.statcan.gc.ca/imdb/p3Instr_f.pl?Function=assembleInstr&lang=en&Item_Id=1209093.