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L’empreinte de la musique sur le cerveau

  • Diyaa Rahmani, Étudiante à la maîtrise en psychologie à l’Université de Montréal
  • Isabelle Peretz, Professeure titulaire au département de psychologie de l’Université de Montréal

Depuis des millénaires, la musique a été utilisée comme une forme d’expression artistique. La musique a aussi un pouvoir extraordinaire sur notre cerveau : elle influence nos émotions, nos pensées et même nos comportements. Mais ce n’est pas tout : la musique peut aussi façonner notre cerveau de manière profonde et complexe. Dans cet article, nous plongerons dans les découvertes récentes et fascinantes qui éclairent la manière dont la musique modifie notre cerveau.

La musique « sculpte » le cerveau

Des chercheurs ont découvert que le cerveau des musiciens est différent de ceux qui ne sont pas musiciens. Par exemple, une recherche menée par Bangert et Schlaug en 2006 a montré que le cortex moteur de l’hémisphère droit des violonistes, la région cérébrale qui contrôle la main gauche, présente une forme d’oméga inversée (Ω). Cette particularité est attribuée à l’utilisation intensive de la main gauche pour jouer du violon. Chez les pianistes, cette forme d’oméga est présente dans les deux hémisphères, ce qui est logique étant donnée l’utilisation simultanée des deux mains pour jouer du piano.

Figure 1 : Illustration en 3 dimensions du cerveau d’un violoniste et d’un pianiste prise avec une IRM (imagerie par résonance magnétique). (Bangert & Schlaug, 2006).

Plus que seulement une modification visuelle

L’apprentissage d’un instrument de musique ne se limite pas seulement à façonner visuellement le cerveau. Cela crée aussi de nouveaux neurones dans des régions dédiées entre autres à la perception musicale, telles que le lobe temporal et le gyrus temporal supérieur (Bermudez et al., 2009). D’autres recherches, dont celle de Kraus et Chandrasekaran en 2010 ont démontré qu’une pratique régulière de la musique stimule la neuroplasticité, c’est-à-dire la capacité du cerveau à se restructurer et à s’adapter en répondant à de nouvelles expériences. En jouant d’un instrument, les musiciens développent des circuits neuronaux plus développés et sophistiqués dans les aires associées à l’audition et à la compréhension musicale. Ces modifications neuronales améliorent leurs compétences musicales, et les rend meilleurs pour percevoir et interpréter des sons en général.

Des bienfaits qui vont au-delà de la musique

L’apprentissage musical active également les régions motrices du cerveau, car jouer d’un instrument implique d’acquérir une coordination fine des mouvements. Cette stimulation des aires motrices du cerveau améliore la coordination et de la dextérité des mains, soit des habiletés essentielles pour produire des sons précis. De plus, la pratique musicale renforce les connexions entre les zones responsables de l’écoute (aires auditives), du mouvement (aires motrices) et des fonctions cognitives supérieures (cortex frontal), comme l’organisation et la prise de décisions. Cette synergie renforcée entre différentes régions du cerveau peut également être bénéfique pour des tâches non musicales, améliorant ainsi les capacités d’apprentissage et de résolution de problèmes. 

Circuits urbains et circuits neuronaux : L’exemple de Londres

La capacité de notre cerveau à changer et à s’adapter, que l’on appelle la « plasticité cérébrale » n’est pas spécifique à l’apprentissage de la musique. On la voit souvent dans d’autres formes d’apprentissage soutenu et intensif comme chez les chauffeurs de taxi londoniens. La ville de Londres est un véritable labyrinthe avec 25 000 rues dans un rayon de 10 km (Figure 2). Pour obtenir le permis de chauffeur de taxi, les apprentis chauffeurs doivent apprendre à circuler dans ce réseau sans l’aide d’un GPS. Il faut environ 3 à 4 ans de formation pour s’orienter aisément dans la ville.

Des chercheurs ont voulu savoir si cette formation pouvait modifier le cerveau des apprentis chauffeurs (Woollett & Maguire, 2011). Ils ont examiné leur cerveau, avant et après leur formation, en utilisant l’imagerie par résonnance magnétique (IRM). Ils se sont particulièrement intéressés à une partie du cerveau appelée l’hippocampe, une région du cerveau situé dans le système limbique qui est importante pour se repérer dans l’espace et pour la mémoire à long terme (Figure 3). Les chercheurs ont découvert que, après la formation, les chauffeurs de taxi qui avaient réussi leur examen avaient un hippocampe plus volumineux qu’avant la formation. De plus, leur hippocampe était plus grand que celui des chauffeurs de taxi qui avaient échoué l’examen pour devenir chauffeur de taxi.

Figure 2 : Cartographie de la ville de Londres. (Woollett & Maguire, 2011)

Figure 3: Schéma du système limbique, la partie la plus ancienne du cerveau.

La musique rend plus intelligent: Un mythe ou une réalité?

Beaucoup se demandent si écouter de la musique, en particulier celle de Mozart, peut nous rendre plus intelligents. Cette idée vient d’une célèbre expérience de 1993, où 36 adolescents ont écouté la musique de Mozart pendant 10 minutes. Les chercheurs ont constaté que cela améliorait de manière temporaire leur résultat à un test mesurant l’intelligence spatiale (Rauscher et al., 1993). Malgré les spécifications mentionnées dans l’étude, les médias ont mal interprété les résultats de cette étude, laissant croire que l’écoute de la musique de Mozart peut nous rendre plus intelligents. C’est pour cette raison, encore aujourd’hui, on trouve des livres et des CD vantant les bénéfices de la musique de Mozart sur les nourrissons, car elle éveille leur intellect.

D’autres études ont reproduit l’étude de Rauscher et ses collègues pour vérifier cette théorie et ont trouvé des résultats similaires. Par exemple l’étude de Nantais et Schellenberg en 1999 a montré que ceux qui écoutaient la musique de Mozart pendant 10 minutes obtenaient de meilleurs résultats à un test de rotation mentale que ceux qui étaient dans un environnement silencieux. Cependant, il n’y avait aucune différence significative entre ceux qui écoutaient du Mozart et ceux qui écoutait une histoire racontée. Ces résultats suggèrent que ce n’est pas spécifiquement l’écoute de la musique de Mozart qui améliore les performances, mais plutôt l’écoute de ce que l’on aime qui favorise la concentration et l’attention lors d’une tâche (Peretz, 2018). 

Alors si écouter de la musique n’améliore pas nos capacités intellectuelles, qu’en est-il de la pratique musicale? Les études montrent que les personnes qui commencent la musique dès leur jeune âge développent mieux certaines aptitudes cognitives que ceux qui n’ont pas un entraînement musical. Per exemple, l’étude de Schellenberg en 2004 a testé 144 enfants répartis dans quatre groupes de manière aléatoire : 1) cours de piano, 2) cours de chant, 3) cours de théâtre 4) aucun cours. Le chercheur a mesuré les habiletés intellectuelles des enfants avant et après leurs cours à l’aide de l’échelle d’intelligence Wechsler qui s’adresse aux enfants (Wechsler Intelligence Scale for Children – WISC).  Les enfants qui ont suivi des cours de musique (piano ou chant), ont augmenté leur score global au test de QI par rapport à ceux qui ont suivi des cours de théâtre ou aucun cours (Figure 4). La musique a donc un impact significatif sur le cerveau en développement des enfants, stimulant diverses régions cérébrales telles que la perception auditive, la mémoire et la coordination motrice.

Figure 4 : Graphique montrant l’augmentation moyenne du score du QI global après avoir suivi les leçons.

Cependant, il est important de comprendre que le lien entre la musique et l’intelligence est complexe. Bien que la pratique musicale puisse certainement contribuer à améliorer certaines capacités cognitives, cela ne veut pas forcément dire que les musiciens sont plus intelligents dans tous les domaines que ceux qui ne pratiquent pas la musique. La connexion entre la musique et l’intelligence est nuancée et ne peut pas être expliquée par une simple cause à effet.

Les effets de l’apprentissage de la musique plus tard dans la vie

Les personnes ayant pratiqué la musique dès leur jeune âge semblent être mieux protégées contre le déclin cognitif lié à l’âge. Même si les musiciens vieillissants peuvent perdre de l’audition, leur cerveau conserve souvent une capacité accrue à discerner les sons qui leur parviennent. L’étude d’Alain et ses collègues (2014) a démontré qu’à l’âge de 70 ans, un musicien peut distinguer la parole dans un environnement bruyant aussi bien qu’un non-musicien âgé de seulement 50 ans. Apprendre de la musique jeune facilite également la perception de la parole dans les environnements bruyants à un âge avancé. En ayant été exposées à la musique durant leur jeunesse, les personnes développent une acuité auditive plus affinée qui leur permet de mieux diriger leur attention vers la discussion malgré les bruits alentours. Cette aptitude est particulièrement utile pour les personnes âgées qui, autrement pourraient éprouver des difficultés à suivre une conversation dans des environnements bruyants. L’apprentissage musical semble donc jouer un rôle essentiel dans le maintien de la qualité auditive et cognitive à mesure que nous vieillissons. 

Ce qui est remarquable, c’est que les bienfaits d’une pratique musicale se maintiennent même après avoir arrêté de pratiquer Des études ont révélé que les avantages perdurent chez les personnes qui ont suivi une formation musicale pendant environ 4 à 14 ans avant 25 ans, même si elles n’ont plus pratiqué pendant 40 ans par la suite (White-Schwoch et al., 2013). Cette constatation est encourageante, car elle suggère que même une période d’apprentissage musical relativement courte et précoce dans la vie peut avoir des effets durables sur le cerveau. Les changements neurologiques et les compétences acquises grâce à la pratique musicale semblent perdurer, améliorant la perception des sons longtemps après avoir arrêté de jouer. 

Même commencer la musique tardivement peut être bénéfique. Une étude menée auprès de personnes de 70 ans a démontré que de débuter l’apprentissage de la musique, même à cet âge, entraîne des effets positifs significatifs (Seinfeld et al., 2013). À titre d’exemple, après seulement quatre mois d’apprentissage du piano et de cours de lecture musicale, ces individus âgés ont amélioré de façon notable leur humeur et, certaines fonctions exécutives, notamment en ce qui concerne l’attention et la planification. Ces améliorations n’ont pas été observées chez des personnes âgées pratiquant d’autres activités telles l’exercice physique, l’informatique ou la peinture (Seinfeld et al., 2013).

Pour conclure, la musique est bien plus qu’un simple divertissement. Elle possède un pouvoir fascinant sur le cerveau humain, façonnant et influençant ses fonctions de manière remarquable. Il est important de noter que les effets de la musique sur le cerveau varient d’une personne à l’autre et dépendent de la quantité et de la régularité de l’exposition à la musique.

À savoir aussi : la musique renforce les liens sociaux

Un autre bénéfice de la pratique musicale est qu’elle favorise la socialisation. Jouer de la musique en groupe renforce les liens sociaux et est souvent associé à des émotions intenses et plaisantes. Plusieurs études, dont celles menées par Pearce et ses collègues en 2017 et de Kreutz en 2014 ont montré que chanter en groupe favorise le développement de liens sociaux et la sensation de bien-être. Si vous voulez en savoir plus, voici quelques ld’articles.

Tuning in to others: Exploring relational and collective bonding in singing and non-singing groups over time – Eiluned Pearce, Jacques Launay, Pádraig MacCarron, Robin I. M. Dunbar, 2017 (sagepub.com)

Does singing facilitate social bonding? (apa.org)

Références

Alain, C., Zendel, B. R., Hutka, S., & Bidelman, G. M. (2014). Turning down the noise : The benefit of musical training on the aging auditory brain. Hearing Research, 308, 162‑173. https://doi.org/10.1016/j.heares.2013.06.008

Bangert, M., & Schlaug, G. (2006). Specialization of the specialized in features of external human brain morphology. European Journal of Neuroscience, 24(6), 1832‑1834. https://doi.org/10.1111/j.1460-9568.2006.05031.x

Bermudez, P., Lerch, J. P., Evans, A. C., & Zatorre, R. J. (2009). Neuroanatomical correlates of musicianship as revealed by cortical thickness and voxel-based morphometry. Cerebral Cortex (New York, N.Y.: 1991), 19(7), 1583‑1596. https://doi.org/10.1093/cercor/bhn196

Kraus, N., & Chandrasekaran, B. (2010). Music training for the development of auditory skills. Nature Reviews Neuroscience, 11(8), 599‑605. https://doi.org/10.1038/nrn2882

Kreutz, G. (2014). Does singing facilitate social bonding? Music and Medicine, 6(2), 51‑60.

Nantais, K. M., & Schellenberg, E. G. (1999). The Mozart Effect : An Artifact of Preference. Psychological Science, 10(4), 370‑373. https://doi.org/10.1111/1467-9280.00170

Pearce, E., Launay, J., MacCarron, P., & Dunbar, R. I. M. (2017). Tuning in to others : Exploring relational and collective bonding in singing and non-singing groups over time. Psychology of Music, 45(4), 496‑512. https://doi.org/10.1177/0305735616667543

Peretz, I. (2018). Apprendre la musique : Nouvelles des neurosciences. Odile Jacob.

Rauscher, F. H., Shaw, G. L., & Ky, K. N. (1993). Music and spatial task performance. Nature, 365(6447), 611. https://doi.org/10.1038/365611a0

Schellenberg, E. G. (2004). Music Lessons Enhance IQ. Psychological Science, 15(8), 511‑514. https://doi.org/10.1111/j.0956-7976.2004.00711.x

Seinfeld, S., Figueroa, H., Ortiz-Gil, J., & Sanchez-Vives, M. V. (2013). Effects of music learning and piano practice on cognitive function, mood and quality of life in older adults. Frontiers in Psychology, 4. https://doi.org/10.3389/fpsyg.2013.00810

White-Schwoch, T., Carr, K. W., Anderson, S., Strait, D. L., & Kraus, N. (2013). Older Adults Benefit from Music Training Early in Life : Biological Evidence for Long-Term Training-Driven Plasticity. The Journal of Neuroscience, 33(45), 17667‑17674. https://doi.org/10.1523/JNEUROSCI.2560-13.2013

Woollett, K., & Maguire, E. A. (2011). Acquiring “the Knowledge” of London’s Layout Drives Structural Brain Changes. Current Biology, 21(24), 2109‑2114. https://doi.org/10.1016/j.cub.2011.11.018